Notre arrivée à Marseille a commencé par une pause méridienne au centre commercial de la Valentine. Nous étions attendus une heure après à Season of Mist, la maison de disques voisine où travaille mon ami Guillaume, ami de longue date pas vu depuis... longue date aussi! Nous nous sommes ratés un paquet de fois lors de ses passages en Moselle. J'ai même réussi l'exploit une année de lui prêter ma maison à Metz alors que j'étais moi-même en vacances dans l'ouest et que notre planning nous a faits nous rater. Bref.
Un plaisir sans nom de revoir cet ami exceptionnel, à plusieurs titres: le premier étant que dans la série des ratés, j'ai raté son mariage à Paris l'an dernier auquel j'étais invitée; ensuite je n'ai jamais vu ses jumeaux qui ont pourtant deux ans et demi, et surtout, je ne connais pas sa moitié que j'ai pourtant l'impression de connaître depuis le temps qu'il m'en parle sur internet. Petit bonus du jour: Joseph étant musicien, nous avons eu l'immense plaisir de visiter les locaux de la maison de maison de disques en visite privée par son directeur marketing himself, aka mon pote Guillaume. Après une bonne heure de visite et de papote, nous l'avons laissé travailler et sommes allés prendre possession de notre chambre d'hôtel, près du Vieux-Port.
Début de l'aventure marseillaise...
Nous rejoignons sans encombre, et à ma grande surprise, le centre ville. Premier tracas: je ne trouve pas la résidence où nous avons réservé notre nuit. Il s'agit d'une résidence hôtel avec studios/apparts à la nuitée ou à la semaine. Ou plutôt: je ne trouve pas à me garer à proximité. Je finis par trouver une place sur un square gardé par des résidents. Le genre de résident qui habite sur un banc toute la journée et qui vous indique en titubant les places libres pour que vous leur laissiez la petite pièce. Par chance, le valet du square m'indique une place libre. Il m'explique en me tutoyant, et dans un français sommaire, que je n'ai pas besoin de payer le parcmètre car la police est déjà passée ce matin et qu'ils ne passent qu'une fois par jour. Allez savoir pourquoi, il m'a paru honnête et je lui ai fait confiance, lui laissant même en main la petite obole que j'avais prévue pour le parking. T'es gentille madame. Oui monsieur, je sais. Trop, même, des fois.
Nous quittons la place de parking avec les bagages, descendons une rue en forte pente dont les trottoirs sont tellement hauts qu'on ne peut pas y accéder en fauteuil. Conclusion: nous marchons sur la route. Pas dangereux du tout, en plein Marseille où apparemment le code de la route ne doit pas être le même que dans le reste de la France... *ahem* Stationnement en double file, grillage de feux rouges déjà bien rouges depuis longtemps, et j'en passe. Je propose à Joseph de s'arrêter sur un morceau de trottoir à peu près accessible, le temps que j'aille repérer l'entrée de la résidence. Je finis par la trouver, 50 mètres plus loin. Résidence répertoriée accessible et adaptée sur le site, raison de mon choix, le deuxième critère étant la wifi gratuite et illimitée. Je m'arrête net devant l'entrée. L'entrée est parfaitement accessible, en effet, sauf que le trottoir pour y accéder ne l'est pas du tout. Aucun bateau sur le trottoir, anormalement haut en plus. Allez, pas de temps à perdre. Je me présente à l'accueil. le gérant met 50 ans à retrouver ma réservation, genre, "vous êtes sûre que vous avez réservé?". J'accélère la procédure. "La chambre a été payée à l'avance, monsieur, le numéro de réservation est là". Je montre avec le doigt sur le papier. Ça y est, il se souvient que c'est réservé. Je lui dis: "Je vous abandonne deux minutes, le temps d'aller chercher mon compagnon en fauteuil". Et là, le sketch...
Le gérant me dit, avec un air ahuri: "Euh, en fauteuil... vous voulez dire, roulant?".
Je bouillais d'envie de lui répondre à la Laspalès "Non, un fauteuil de salon, il a insisté pour le prendre ". Allez, tais-toi, Christelle, réponds-juste: "Oui... roulant".
Je poursuis: "Pourquoi, ya un problème avec la chambre?"
Oui, il y a un problème... Il me répond: "c'est-à-dire... j'étais pas au courant."
C'est-à-dire que c'est écrit là, monsieur. C'est-à-dire que la demande de chambre accessible pour fauteuil apparaît noir sur blanc sur la réservation confirmée par vos soins. Je pointe du doigt sur la confirmation de réservation.
Il prend un air faussement embêté et il se passe bien une minute complète où il ne se passe rien. J'enchaîne. "Et donc? On n'a pas de chambre?"
Il me répond qu'il va devoir changer la réservation, qu'il n'est pas sûr d'avoir une autre chambre libre, qu'il va faire "touuuuuuuuuuuuut son possible pour voir". Ben y'a intérêt. Je répète à toutes fins utiles que "la chambre a déjà été payée et que je n'ai reçu aucun coup de fil de leur part pour me dire à l'avance qu'il y aurait un souci". Donc soit ils sont de piètres gérants; soit ils n'ont clairement pas envie de se faire suer avec "un handicapé". Je regarde derrière la réception: l'élévateur flambant neuf avec un grand logo bleu "personne handicapée" sert de dépotoir à matériel: un diable, des outils... Il a vu que je l'ai vu. Il demande à un employé de bien vouloir le vider car il "va en avoir besoin". L'employé me dévisage avec un regard noir puis soupire: "mais je mets ça où, maintenant?" Le gérant hausse les épaules. Genre, on s'est équipé pour recevoir des PMR, mais histoire de bien faire comprendre que ça nous embête de les recevoir on va rendre le matériel adapté inutilisable.
Le gérant finit par me dire: "je vous ai trouvé une autre chambre, par contre, vous aviez réservé avec vue sur le Vieux-Port mais celle-ci donne sur l'arrière. Et je ne peux pas vous donner la vue sur le port car il y a des escaliers qui mènent à celles qui ont vue sur le port." Je ne fais pas la fine bouche et réponds avec le sourire: "Si on a de quoi dormir dans une chambre où le fauteuil passe la porte, ce sera déjà bien." Faute de grives... (tu manges les miettes alors que t'as payé pour le gâteau entier).
Il appelle sa collègue pour qu'elle prenne la relève et là il se barre, sans rien dire. Genre, il a dû aller se fumer quatre clopes en bouquet pour évacuer la pression. Ben ouais, mec, mais si tu faisais ton boulot correctement, j'aurais pas besoin de te faire perdre du temps. Attends une seconde.... c'est TOI qui me fais perdre le nôtre. Moi je suis réglo et je règle tout à l'avance pour éviter aux gens de s'occuper de nous. La collègue prend la relève, donc. Je lui demande d'emblée: puisque j'ai payé un tarif supérieur à la chambre qu'on nous donne, vous m'offrez les petits déjeuners demain matin? Elle me répond qu'elle allait me le proposer. Elle me file le contrat qui indique une autre chambre et un autre prix. Je refuse. J'exige qu'elle note que les petits dejeuners sont déjà payés. Je vois le coup que demain matin ce sera un autre employé qui va me réclamer des choses qui n'auront pas été transmises... Elle s'exécute servilement. Je vais chercher Joseph, qui attend depuis tout ce temps dehors.
(Je vous laisse méditer sur la connotation très canine d'avoir à attendre à l'extérieur qu'on vienne vous chercher. Dites-vous bien que derrière chaque situation problématique d'accessibilité réside le sentiment de ne pas être considéré comme un être humain, et c'est CELA le problème. Ce n'est pas le matériel ou la technique. C'est le manque de considération et de respect du message qui vous balance sans arrêt en pleine face: interdit pour "les gens comme toi". Les adaptations matérielles ou techniques ne sont que les moyens destinés à mettre en oeuvre l'inclusion sociale, lourde de symbole. Les deux premiers mots de notre République ne sont-ils pas Liberté, Egalité? Ils sont beaux, ces principes. Mais quel est l'intérêt d'un principe s'il n'est pas mis en pratique? Ça me rappelle la fausse pub des Inconnus pour le préservatif version italienne: "Marcello, tou l'as la capota?" - Et Marcello de sortir le préservatif de la poche de sa chemise en disant: "eh! Et ça, c'est quoi?" avant de le remettre dans sa poche. Voilà, l'égalité, en France, c'est ça. On connaît le principe, on en parle, mais on le range dans la poche car on n'arrive pas à l'appliquer en matière d'accessibilité. On est d’accord pour dire "qu'il faut l'égalité pour tous", mais on ne fait pas grand chose pour l'appliquer. Je n'ai pas dit "rien". J'ai dit pas grand chose.)
Nous escaladons avec du mal le trottoir anormalement élevé, impraticable pour une personne sans assistance (hauteur supérieure à 20 cm. Non non, je ne suis pas marseillaise, je n'exagère pas :-p). Nous entrons et nous apprêtons à prendre l'élévateur qui est neuf, apparemment. Chouette! Enfin un truc ultra adapté! Ouaip. Faux contact avec la clé. Le portail ne s'ouvre pas, et on ne peut pas le forcer manuellement, ça marche que électrique. Joseph est abattu. Comme toujours dans ces situations déshumanisantes. Et comme toujours, il propose gentiment de ramper sur les escaliers pour gagner du temps car il en a marre d'attendre que les lieux soient accessibles. Au moins sur les mains c'est plus rapide.
"Ah non, dit la dame, ça va marcher, attendez". Ouais... Ça finit par marcher après quelques minutes. Je lui fais remarquer néanmoins qu'il n'y a qu'une clé utilisable de l'extérieur seulement de la cabine, et qu'une fois l'élévateur en haut, quelqu'un doit assister de l'extérieur pour le faire redescendre. Elle répond: "mais ne vous inquiétez pas, il y aura toujours quelqu'un à la réception." Je lui réponds que ce n'est pas le problème. Le problème, c'est que l'appareil n'est utilisable qu'avec l'assistance d'un tiers, et que si Joseph souhaite descendre utiliser l'ordinateur du "business center" ou qu'il veut descendre s'acheter une boisson comme il le fait fréquemment dans les hôtels aux USA, il ne pourra pas le faire seul, et ça, c'est humiliant pour une personne en fauteuil qui a un usage complet de ses membres supérieurs et de son cerveau.
C'est l'un des aspects les plus difficiles à comprendre pour ceux qui ne connaissent pas le monde du handicap moteur: être assisté (ou même "aidé") quand ce n'est pas nécessaire est une humiliation destructrice. Destructrice d'ego, et aussi, il faut que je vous le dise, destructrice d'envie de vivre. Ce n'est pas une histoire de mauvais caractère ou de susceptibilité des personnes en fauteuil. C'est une histoire de dignité et d'humanité. C'est pour ça, Anne, et tous les autres qui n'osent pas me le dire franchement, que j'insiste tant sur l'accessibilité. C'est pour le problème humain qui se trame derrière ce manque de réflexion et de volonté pour adapter les lieux PUBLICS. Se sentir en permanence infantilisé, comme un enfant à qui on ne peut faire confiance; indésiré car l'entrée ne peut pas se faire directement en faisant simplement avancer son fauteuil; assisté, comme si on était incapable. Le problème, c'est la répétition de ces situations plusieurs fois par jour, si ce n'est plusieurs fois par heure. Il arrive un moment où cette exclusion de fait vous fait douter sur votre raison de vivre et que vous finissez par avoir envie d'en finir. C'est ce que Joseph ressent à chaque passage en France. Il m'a avoué que c'est aussi la raison pour laquelle il rechignait tant à faire des efforts d'apprentissage du français. Pourquoi devrais-je faire des efforts d'adaptation à une société qui fait tout pour que j'en sois exclu et qui me rappelle à chaque instant que je ne suis pas digne d'exister? A quoi bon parler le français si on ne me donne pas la possibilité de me rendre à un guichet pour formuler une demande? A une réception d'hôtel? A une table de restaurant? La seule chose qui le pousse, évidemment, c'est la communication avec moi, ma famille et mes amis à titre privé.
Nous montons dans la chambre. Joseph installe d'emblée son ordinateur portable. Pas de réseau wifi. On fait venir la dame de l'accueil. Elle me regarde avec des yeux de merlan frit en s'excusant. "Ben en fait, je sais pas comment ça marche...je comprends pas, ça devrait marcher". Joseph lui explique comment faire (il connaît) et lui explique comment rebooter sa machine pour l'étage. Elle me dit "Oui non mais je ne sais pas faire". Elle a refusé que Joseph s'en occupe. Voilà. J'ai tout gagné avec cet établissement. Une demi-heure heure pour prendre possession d'une chambre déjà réservée sur internet pour gagner du temps, et une demi-heure de discussion stérile avec une employée perdue qui appelle un gérant qui ne répond pas. Résidence de tourisme 4 étoiles. Ah bon...
Notre soirée avec Guillaume et sa petite famille s'est heureusement déroulée sans heurts et dans la bonne humeur. J'avais dit à Joseph que nous avions la possibilité de rester une nuit supplémentaire sur Marseille. Autant vous dire qu'il a souhaité poursuivre sa route le lendemain!
Avant de partir, nous souhaitions néanmoins profiter d'une balade en bateau pour voir le Château d'If (Le Comte de Monte-Cristo est une autre oeuvre appréciée de Joseph) et des calanques. Nous nous rendons à la voiture et retrouvons notre ami placeur, le seigneur des bancs du square. Il avait raison. Pas de PV. Il connaît son travail, lui. Il me rend un dernier service en faisant la circulation comme un agent (c'était drôle) et permet ainsi à un autre automobiliste de trouver une place; la mienne.
Je dépose Joseph sur le Vieux-Port et vais garer ma voiture dans le parking souterrain le plus proche. Que n'avais-je fait là... J'ai su en allant la rechercher que l'ascenseur réservé aux PMR était en panne... C'était pourtant les places les plus proches... Tout faux, Marseille! (Enfin, le coup des ascenseurs PMR en panne, ça, c'est fréquent et c'est partout). Je vous raconte pas le chemin de croix pour aller récupérer Joseph ensuite sur une place où évidemment la sortie de parking ne donnait absolument pas. Sur mon chemin retour pour retrouver Joseph au port depuis le parking, j'ai croisé Jean-Claude Gaudin, le maire de Marseille, qui venait prendre un bain de foule sur le port. C'est peu de dire que je l'ai croisé puisque nos épaules se sont touchées. J'ai failli lui dire: "comment qu'c'est, Jean-Claude, j'attends toujours la réponse que tu m'as promise concernant le stationnement handicapé à Marseille!".
(Pour info, voici le mail en question du 2 juillet:
Bonjour,
Monsieur Jean-Claude GAUDIN, Sénateur Maire de Marseille, a bien reçu votre courriel qui a retenu toute son attention.
Monsieur Patrick PADOVANI, Adjoint au Maire Délégué aux Personnes Handicapées, Toxicomanie, Sida, Comité d'Hygiène et de Sécurité, Médecine du Travail, Plan Alzheimer, a été chargé de vous tenir informée des suites réservées à votre requête.
Veuillez agréer, Madame, l'expression de nos sincères salutations.
Le Cabinet du Maire de Marseille
Monsieur Jean-Claude GAUDIN, Sénateur Maire de Marseille, a bien reçu votre courriel qui a retenu toute son attention.
Monsieur Patrick PADOVANI, Adjoint au Maire Délégué aux Personnes Handicapées, Toxicomanie, Sida, Comité d'Hygiène et de Sécurité, Médecine du Travail, Plan Alzheimer, a été chargé de vous tenir informée des suites réservées à votre requête.
Veuillez agréer, Madame, l'expression de nos sincères salutations.
Le Cabinet du Maire de Marseille
Heureusement que mon mail a retenu son attention! Et heureusement que j'ai précisé que je serai de passage la semaine du 10 juillet! Monsieur Padovani a sans doute eu trop affaire avec les toxicos pour répondre à ma requête, pourtant simple... M'enfin, pô grave. On s'est débrouillé. Comme d'hab.)
La balade en bateau a été plus que satisfaisante. Le personnel de la Compagnie Icard Maritime a été très professionnel, y compris la dame à la caisse qui a pris le temps de m"informer correctement pour nous assurer une visite la plus agréable possible. Nous avons eu la bonne surprise d'embarquer sur un petit bateau complètement accessible, qui avait même des toilettes adaptées. Comme quoi, décidément, on est toujours agréablement surpris par les endroits où on en s'attend pas!
Quelques photos de la balade de deux heures au départ du Vieux-Port:
Mon chéri me dit que j'ai l'air constipé sur cette photo mais tant pis, c'est la seule que j'ai de nous deux sur le bateau! |
Une calanque. |
Les formations calcaires autour des calanques sont jolies et impressionnantes. |
Joseph m'a beaucoup fait rire car il m'a dit vouloir voir le "Château d'Oeuf". Quand je lui ai dit que ça s'écrivait "If", et que ça se prononçait "if" aussi, il était mort de rire. Car le film américain sur Monte-Cristo parle de " Château d'Oeuf". Nous l'avons donc rebaptisé Egg Castle. :-p
Le Château d'If, aka Egg Castle. |
Le Vieux-Port |
Notre balade maritime valait vraiment le coup, on ne regrette pas.
Nous avons terminé notre journée à Marseille par un déjeuner rapide au Quick du Vieux-Port, où Joseph a eu la désagréable surprise de se faire embêter à plusieurs reprises par des mendiants d'Europe de l'est (c'est comme ça qu'on dit en langage politiquement correct?). Le genre qui vient s'incruster en terrasse devant toi et qui te remue un gobelet de pièces dans ta face en t'empêchant de manger et qui ne déguerpit pas alors que tu le demandes. Gentiment la première fois. Un peu moins à la troisième. Il a aussi compris après son séjour à Marseille pourquoi il fallait fermer son sac à dos derrière son fauteuil. Pour info: cela fait près de trente ans que Joseph utilise un fauteuil, mais c'est seulement la première année que son sac-à-dos a été fermé. Il est ouvert en permanence car c'est plus pratique pour y prendre des choses. Le concept de pick-pocket n'est pas courant aux USA. Je n'ai pas dit qu'il n'y en a pas, mais Joseph ne comprenait pas pourquoi je vérifiais toujours que mon sac était fermé et que je l'avais bien sur moi aux USA. Il m'a pris pour une névrosée lors de mon premier séjour. Après un passage par quelques sites à Paris et Marseille, il comprend pourquoi et maintenant c'est lui qui s'assure que son sac-à-dos est bien encore présent derrière son fauteuil... Douce France.
Nous quittons Marseille direction Arles. Joseph a entendu parler de cette ville dans sa comédie musicale préférée, Pippin. Pippin (Pépin dit le Bossu) est le fils de Charlemagne, et Arles est la ville où il tue son père, Charlemagne, dans la comédie musicale. Non seulement j'ai effectué des heures de recherche des lieux des Misérables en France, mais en plus, j'en ai également fait sur les vies et faits de Charlemagne et de son fils aîné car Joseph souhaitait en savoir davantage et franchement, je n'y connaissais pas grand chose. Et pour cause, Pépin le Bossu n'est pas le fils qu'a retenu l'histoire. Qui a dit que les Américains ne s'intéressaient pas à la culture?
Notre passage en Arles a été décevant. Joseph a été choqué par la quantité de graffiti. Une fois de plus, peu courants chez eux, ou alors vraiment associés à des espaces urbains délabrés. Leur présence dans une ville romaine antique l'a complètement perturbé et a donné l'impression à Joseph de se trouver dans une zone de non-droit. Notre visite à pied a mis un terme à son envie de rester dans le sud.
Je lui propose de visiter l'amphithéâtre. A l'entrée, en contrebas de la caisse, nous nous arrêtons devant le portail réservé à l'entrée des fauteuils et tentons de l'ouvrir pour aller à la caisse. Mais il faut sonner pour que la dame de la caisse l'ouvre. Ni lui ni moi ne sommes près d'oublier les quelques secondes qui vont suivre. Traumatisantes.
La dame me hurle depuis la caisse "Il faut payer pour entrer, madame!". Non, sans blague? Tu crois qu'on essaie de faire quoi, là?
Je lui réponds: "ben oui, je sais bien, comment est-ce qu'on ouvre le portail pour accéder à la caisse?"
Réponse effarante de la dame: "Ben vous montez les escaliers, le monsieur attend en bas et une fois que c'est payé je vous ouvre et il peut rentrer."
("le monsieur attend en bas"... Ben c'est pas un chien, quoi!)
Agacée par cette façon peu aimable de nous recevoir, je monte à la caisse et lui demande: "Comment font les personnes en fauteuil s'ils veulent venir payer à la caisse?".
Elle me répond sèchement:
"Ben ça n'arrive jamais, ces gens-là sont toujours accompagnés".
Les bras m'en sont tombés. Joseph en a déjà entendu pas mal dans sa vie, mais alors celle-là... Elle a tout: de l'ignorance, de la condescendance, de la bêtise, du mépris ...
Ces gens-là....
Ces gens-là, ils se porteraient bien mieux si des censeurs de liberté comme toi et ta connerie n'existaient pas.
Je lui réponds du tac-au-tac qu'elle a tort, et je lui dis: imaginez qu'un couple indépendant de personnes en fauteuil vienne visiter l'établissement, comment font-ils? Ou une personne seule en fauteuil? Ou que la personne en fauteuil soit celle qui ait le porte-monnaie ou souhaite payer pour quelqu'un? Une personne autonome n'a pas besoin d'être accompagnée. Vous préjugez donc qu'ils n'ont pas la capacité d'effecteur un paiement.
Silence...
Elle me dit "oui... c'est vrai, j'y avais pas pensé". Ben t'y penseras pour la prochaine fois avant de traiter les gens comme des chiens en présupposant qu'ils essayent de frauder alors qu'ils ont traversé un océan pour venir voir des sites classés au patrimoine mondial de l'UNESCO. Peut-être que l'UNESCO devrait également fournir un label de bonne conduite qui va avec pour le personnel qui accueille.
Joseph a été très choqué de cette situation. Il n'en revient toujours pas. Aux Etats-Unis, c'est lui qui paye tout tout seul, va aux guichets, demande les infos. Il adore prendre sa bagnole, seul, et aller dans des endroits, seul, pour se balader, aller s'acheter une glace, seul, ou un snack, seul. Qu'est-ce qui se passe dans la tête des gens pour qu'ils réfléchissent aussi peu à ça? Il me dit "et si je veux te faire un cadeau, tout simplement? ça veut dire qu'ici, ce n'est pas même pas pensable". Bonjour l'indépendance. Merci la France.
Joseph s'est contenté de visiter les toilettes de l'amphithéâtre et nous sommes partis. De toute façon, aucune explication après quelques vagues panneaux à l'entrée, traduits tellement sommairement en anglais qu'on se demande également quelle considération est vouée à tous ces gens qui viennent à dessein en Arles de très loin pour visiter ses sites. Il a déjà vu le Colisée de Rome et estime qu'il n'a pas à consacrer du temps à un lieu aussi peu accueillant.
Histoire de ne pas quitter Arles sur une mauvaise note, je lui propose de descendre pour voir le cloître Saint-Trophime, une splendeur médiévale. Nous avons galéré pour descendre sur la place, et n'avons de toute façon pas pu accéder au cloître à cause des pavés.
Donc cette fois-ci c'est décidé: on dégage.
Le message derrière tout ça, c'est: Joseph ayant des chaînes Youtube et un blog consultés dans le monde entier, il y a fort à parier que son expérience et l'attitude des "professionnels" du tourisme en France n'aillent pas exactement dans le sens des louanges. Et j'ajouterai même: bien fait.
Je tenais à lui montrer le Pont-du-Gard, pas très loin, avant de remonter sur Metz. Il se trouve, je ne savais pas, que le Pont-du-Gard était le soir de notre passage le site d'un concert géant. Je me disais aussi que je trouvais qu'il y avait beaucoup de monde qui affluait à l'heure où nous y allions (18 heures)! Des agents de sécurité sur le parking dirigent les voitures pour les faire garer dans l'herbe. Nous avons heureusement pu aller sur les places réservées proche de l'entrée. La bonne nouvelle: entrée gratuite vu les circonstances. La mauvaise: l'entrée du concert avec le barrage des vigiles étaient au pied du Pont, ce qui fait que nous n'avons pas pu nous balader en dessous. On l'a quand même vu de près et avons pu faire quelques photos.
Devant le Pont-du-Gard. |
Il se fait tard. Nous reprenons la route vers le nord. Mon GPS m'indiquant une arrivée à Metz pour 3 heures du mat, on envisage de s'arrêter dans un hôtel sur le chemin. Un vendredi soir de chassé croisé, sur l'axe Marseille-Lyon, c'est pas gagné. Après deux échecs dans deux hôtels (complet, complet), je m'arrête dans un troisième, un Ibis en bordure de route. Joseph me dit: "cette fois-ci je viens avec toi à la réception, des fois, en me voyant, comme par hasard, ils ont des chambres."
Il est déjà 22 heures. Deux personnes nous reçoivent avec un sourire un peu crispé et l'homme me pose la traditionnelle question à la Bigard: "c'est pour quoi?". Ben à ton avis? Vu que c'est pas un hold-up et que je ne vends pas de tapis, je pense qu'en fait on aimerait bien une chambre pour dormir ce soir.
Le type me regarde avec un air désabusé en faisant non de la tête, en ajoutant : "c'est toujours la même chose avec les clients en juillet, ils s'arrêtent tard et évidemment on n'a plus de chambre". Je réfléchis une seconde et demie avant de lui dire: "c'est le principe d'un hôtel de bord de route, non? Si on savait à quel moment on s'arrêtait on aurait évidemment réservé (punaise mais pourquoi j'ai à me justifier de demander une chambre dans un hôtel? Qu'est-ce qu'il y a d'anormal à ça?) Donc vous n'avez pas de chambre?". Il me dit non, d'un air même pas désolé. Je lui demande s'il veut bien appeler ses collègues vers Lyon, comme la dame du précédent établissement l'a fait pour tenter de rendre service. Là il me demande: "Mais vous avez une carte bancaire, au moins?"
Je me suis demandé si on inspirait tellement peu confiance que ça. Pourquoi ne pas me demander ma carte bancaire tout court, plutôt que de demander si j'en ai une, au moins?
Les deux coups de fil qu'il a passés n'ont rien donné. Il me regarde, désabusé. Je dis à Joseph que c'est non, pas de chambre, désolée. Nous sommes épuisés. Chaleur, route, visites pénibles, moral à plat... On fait demi-tour et regagnons le parking. Alors que nous approchons de la voiture, j'entends une voix qui appelle "madame, madame, revenez!". Je me retourne. C'est le réceptionniste. Il m'indique que "finalement, [il a] une chambre". Joseph me dit: "qu'est-ce que je t'avais dit?". Et là, super accueil, j'ai pas compris. Avec le sourire et tout. Il me fait savoir qu'ils sont ouverts toute la nuit, que si on a besoin de quoi que ce soit, et vous verrez, vous serez bien, c'est une chambre adaptée en plus, vous allez voir. Il m'explique que l'un de ses clients qui a réservé n'a pas pris la chambre et qu'il suppose qu'il ne viendra plus, qu'il prend sur lui si jamais il y a un problème, ... J'avais franchement pas envie d'entendre ses explications. Je ne réponds rien. Sa collègue accompagne Joseph à la chambre pendant que je vais chercher les bagages. Elle vient m'accueillir à la sortie de la voiture pour me remettre la clé. Je ne vais pas me plaindre de cet excès soudain d'attentions.
Nous avons ainsi pu passer une nuit sereine, avec wifi gratuit et illimité, dans une chambre correcte (la douche n'était pas adaptée du tout mais Joseph s'en foutait, il s'est débrouillé) pour un prix raisonnable.
La troisième partie de mon récit de vacances sera consacrée à Rethondes et Chantilly (Gouvieux pour être précis).
Passionnant ton récit... mais com tu t'en doutes, pas étonnant du tout ! on retrouve vraiment là notre France de merde, telle qu'on la connait. De tte façon, les gens ne peuvent pas comprendre la situation d'une personne en fauteuil tant qu'ils n'y ont pas été confrontée.Pour eux, un handicapé est un paquet qu'un valide transporte, un "truc" déhumanisé. A la limite, on se bouge pour aider un gosse en fauteuil. Mais en gros, les gens pensent : qu'est-ce qu'il vient nous emmerder celui-là ? il ne pourrait pas rester "dans son monde" ?
RépondreSupprimerTu devrais envoyer ton récit au ministère (commentaires annexes compris)
Oui, tu as tout à fait saisi.
SupprimerLe Ministère n'a déjà pas su me répondre l'année dernière alors que je leur ai posée une question concrète et aimable(Joseph a-t-il le droit de stationner en France avec sa carte d'invalidité américaine?), alors je doute que leur envoyer ses états d'âme aient un quelconque impact. Comme tu le dis si bien, tant que les personnes ne sont pas confrontées à la vie en fauteuil, elles ne se rendent pas compte des obstacles physiques ou psychologiques et de leurs conséquences morales sur les personnes en fauteuil et leurs proches.
SupprimerRavi de t'avoir revue, et d'avoir enfin fait la connaissance de Joseph! Et content d'avoir contribué à ce que votre expérience marseillaise ne soit pas un désastre sur toute la ligne... ;)
RépondreSupprimerHéhé, merci d'être venus nous voir à New York ;-).
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