vendredi 26 juillet 2013

Chantilly et la cerise sur le gâteau.

Ou plutôt, comme disait mon professeur d'histoire de khâgne: "la cerise pourrie sur un gâteau qui n'était déjà plus très frais".

La deuxième partie du séjour de Joseph en France a été consacrée aux proches et à quelques amis. L'Américain de passage, tout le monde veut le voir, et malheureusement notre temps est compté et c'est dur de s'organiser pour voir tout le monde en 4 jours. Donc toutes mes excuses à ceux qui n'ont pas encore eu le privilège de le rencontrer, ce sera pour une prochaine fois. Allez, soyons fou, gageons qu'il reviendra quand même en France... Je peux déjà vous dire que ça ne sera pas avant l'été prochain au moins, car pour ce qui est de l'Europe, nous avons au programme le Danemark, la Suède et peut-être l'Italie. Aller dans le village natal de son grand-père près de Sorrento lui tient à coeur. Et privilégier les pays d'Europe du Nord aussi; il les trouve bien plus accueillants.

Afin de passer un peu de temps tous les deux tous seuls (ces moments-là étant pour nous très- trop- rares, c'est un peu difficile à dire à tous les amis qui veulent nous voir; certains ont l'impression que je ne veux pas les voir ou que je leur "cache" Joseph), je lui ai proposé de passer la dernière journée en région parisienne avant de le ramener à Roissy le lendemain matin.

Je nous trouve un bel hôtel près de Chantilly, ville où je retourne toujours avec plaisir. Plaisir du silence, plaisir de la vue, plaisir du cadre.

Pour y aller, je choisis un passage par Rethondes et sa Clairière de l'Armistice, histoire de voir un peu d'histoire sur notre chemin.

La visite ne dure pas très longtemps car c'est assez sommaire. Cet endroit est plus symbolique qu'autre chose.

Nous poursuivons vers Compiègne, juste à côté. La visite des Haras Nationaux l'intéresse, mais après une progression de quelques mètres sur des pavés d'époque, on  décide de faire demi-tour pour aller à l'hôtel se reposer.

Nous arrivons à Gouvieux où j'ai réservé une chambre. Cadre et bâtisse splendides, nous sommes ravis.

Je recommande. Très bel endroit.


Joseph est surtout ravi de voir deux Bentley sur le parking, près d'une Porsche et d'une Lamborghini!

Petit bémol: le parking est très éloigné de l'entrée, même les places PMR.

Photo prise depuis la place de parking la plus proche.
Nous arrivons devant l'entrée, magnifique, elle aussi:


Mais... Gros souci: grand escalier sans rampe ni autre moyen d'accéder pour une personne en fauteuil. Je ne comprends pas, l'hôtel est signalé comme accessible sur le site de réservation. Joseph voit rouge. J'essaie de temporiser en disant qu'il y a sûrement une entrée par l'arrière, ou sur le côté, ou une rampe amovible à la demande. Je me rends à la réception et demande comment mon compagnon peut entrer. On me répond, fort gentiment, qu'un personnel va venir pour aider. Aider à quoi? "A le porter". Euh... Vous n'y songez pas! "Si si, ne vous inquiétez pas on va venir. "

Etre porté avec son fauteuil... l'humiliation suprême pour Joseph.

Je m'inquiète, à juste titre, d'une pour les nerfs de Joseph, qui en ont déjà beaucoup supporté ces deux dernières semaines en France; de deux, pour le gentil monsieur qui va devoir venir porter et qui va se prendre une soufflante, le pauvre, à cause du manque d'équipement de son établissement.

Je retourne voir Joseph et lui annonce que quelqu'un va arriver pour le porter.

"Are you kidding me?" ("C'est une blague?")

Non, mon chéri, ce n'est pas une blague... On est dans un quatre étoiles et tu ne peux pas rentrer à ta guise avec ton fauteuil; il faut déranger du monde et subir l'humiliation d'être porté comme un paquet encombrant.

La personne arrive, très vite. Joseph est vert de rage. J'explique à l'employé, gentiment, que ce n'est pas admissible et lui demande comment on fait ce soir puisqu'on compte manger à l'extérieur, et donc rentrer dormir. "Nous serons là pour vous aider".

C'est gentil, mais c'est pas le problème... Nous devenons dépendants de la disponibilité des autres, qui, même s'ils sont professionnels et agréables, n'ont pas à faire ça.

J'explique au monsieur comment procéder: il prend l'avant, je prends l'arrière. Nous voyant faire, un très gentil monsieur italien fonce sur moi en courant: il est inconcevable pour lui qu'une donna porte le fauteuil. Impossible de faire entendre à ce monsieur, néanmoins, que la seule personne autorisée à manipuler son fauteuil de l'arrière, c'est moi... De dépit devant l'insistance très prononcée de ce monsieur, qui souhaite rendre service, je lui laisse ma place. Que n'avais-je fait là...

Joseph hurle un "STOP" très énervé à deux reprises lors de la montée des marches. Il exige que je reprenne ma place. Le monsieur italien, s'excuse, s'éloigne, confus, et nous regarde monter les marches. Je suis allée platement m'excuser plusieurs fois mais cette situation a été très gênante. Pour Joseph, pour moi, pour le monsieur, pour l'employé venu aider, pour les clients médusés qui regardent les opérations se dérouler... Voilà tout ce qu'on peut éviter avec une rampe. Sans compter que l'employé, qui a la mauvaise place pour soulever le fauteuil, risque un lumbago sévère et que nous voulons vraiment lui épargner cela... Nous nous passerons donc de son service ce soir.

Nous allons en chambre. Chambre magnifiquement équipée et pensée pour des PMR, et avec bon goût (oui, parce que des fois, les équipements PMR, ça fait ambiance chambre de vieux à l'hôpital). Incompréhension de notre part: comment être en mesure de fournir une telle prestation de qualité à l'intérieur si la personne ne peut pas y accéder de l'extérieur?

Joseph est miné. Moralement. Il s'excuse d'exister et comme souvent, me dit que je ne mérite pas ça et que vivre avec lui (surtout en France), c'est s'exposer à ce que ces situations déshumanisantes se répètent, pour lui mais aussi pour moi.

*soupir*

C'est violent.

Il faut avancer... Je lui demande: quid de ce soir? Joseph me dit: il est hors de question que je ressorte et que je subisse ça à nouveau. Il faut limiter les aller-retour. Oui. Mais au moment de la remise de la clé, j'ai décliné une réservation au restaurant de l'hôtel. Je comptais vraiment sortir.

J'arrive à le convaincre d'aller à Monftermeil pour qu'il reparte avec un souhait exaucé. C'est pas juste à côté, mais tant pis. Il ne sera plus là avant longtemps, il faut en profiter.

Après une demi-heure de réflexion, nous quittons l'hôtel sans l'aide de personne. On descend les escaliers avec le fauteuil. On se débrouillera pour les remonter  (ce sera fait en rampant, à la consternation d'un employé qui a accouru pour "le porter". Joseph a refusé. J'ai tenté d'expliquer que faire soi-même, indépendamment, était très important pour lui. L'employé me dit, amusé: "ah dites-donc, il a de la force! Je suis impressionné!". Certes, mais est-ce normal qu'il doive la montrer de cette façon?).

Nous faisons route vers Monftermeil où nous arrivons une petite heure plus tard. A ma grande surprise, un panneau "Vieux Village". J'aime. Nous suivons la direction. Très insolite, cette rue principale ancienne désertée de ses commerces. Fermés. Tous. Les uns sur les autres. Très curieux, ce mélange ville-campagne. Pas désagréable. Nous tournons, tournons, tournons, jusqu'à trouver une panneau de rue "Rue de la Fontaine Jean Valjean". Cherchons la fontaine. Jeu de piste. Nous tournons, tournons, tournons. Et finissons par la trouver. Pas évident! Elle n'est pas indiquée. J'ai juste tourné la tête au bon moment au bas d'un lotissement. Nous nous arrêtons quelques minutes devant le lieu.





Joseph est heureux. Il a vu ce qu'il voulait voir.

Nous nous sommes arrêtés pour dîner sur la route de Gouvieux et avons passé une bonne nuit au château.

J'ai remis une lettre à la direction sur l'accueil des PMR en partant, qui a eu une réponse aujourd'hui. L'établissement s'excuse et fait preuve de beaucoup d'empathie, en plus de me faire savoir qu'en fait ils possèdent un élévateur qui est en panne, et que l'installateur de l'équipement a fait faillite, rendant son entretien ou son changement pour l'instant impossible. La lettre est sincère est humaine, ils comprennent notre ressenti et me font part de leur embarras. Il y a de quoi. J'espère retourner un jour dans cet établissement car en dehors ce ce contretemps, fort fâcheux tout de même, il m'a beaucoup plu, et en plus on n'a pas eu l'occasion d'utiliser la piscine et l'espace bien-être. Reste à savoir si Joseph acceptera d'y remettre les pieds un jour... enfin... les roues.

Voilà, adieux déchirants comme à chaque fois à l'aéroport le lendemain. Interdiction pour moi de l'accompagner jusqu'à la salle d'embarquement, contrairement à Newark où pourtant les conditions de sécurité y sont drastiques.

C'est ainsi que s'est terminé son séjour en France. Avec l'impression d'être un indésirable, et donc pressé de retrouver son Amérique accessible pour retrouver confiance en lui.

Lundi, c'est moi qui vais le rejoindre pour un mois dont il va falloir que nous profitions avant notre très longue séparation de septembre. Ça non plus, c'est pas humain. Mais ça, c'est une autre histoire.

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