dimanche 6 janvier 2013

Dis-moi ce que tu manges, ...

Je suis en train de lire ce bouquin fort intéressant:


French Kids Eat Everything, Karen Le Billon.

Il a été écrit par Karen Le Billon, une Canadienne anglophone de Vancouver, mariée à un Français. Elle raconte comment leur emménagement en France l'a considérablement ébranlée dans ses convictions éducatives, notamment concernant les habitudes alimentaires: ce que l'on mange, mais surtout comment et dans quel contexte. Je me retrouve tout à fait dans ce qu'elle dit: les constats nord-américains comme les constats français, et je me rends compte à quel point Joseph comme moi sommes marqués culturellement. A savoir, quand elle décrit le comportement alimentaire des Français et tous les rituels autour des repas: choix des aliments, temps de préparation, dressage de la table, convivialité, ..., je réalise à quel point cela est ancré en moi. Et j'ai aussi constaté qu'ici se trouvait la limite de mon adaptation ici. Je ne déroge pas à ces principes, ou quand je le fais, je suis frustrée.

Quiconque me connaît un peu sait à quel point manger est important pour moi. J'entends par là bien manger, et si possible en bonne compagnie. Accorder les saveurs, les travailler, les enrichir, les associer, les savourer... Joseph se moque gentiment de moi car souvent, au lieu de dire "c'est bon" ou "je n'aime pas", il s'amuse de voir à quel point mes phrases sont élaborées et contiennent un vocabulaire culinaire et gastronomique pour décrire mes sensations gustatives. C'est ma French touch. Qu'il trouve quelquefois cérémonieuse. 

Souvent, au moment des repas, nos deux mondes s'opposent. Des fois légèrement, avec humour. Comme quand j'utilise mon couteau pour manger, même s'il n'y a rien à couper. Cela reste pour Joseph un mystère complet, qui l'amuse. Les Américains, c'est la fourchette ou la cuillère; quand ce n'est pas les doigts. Je me faisais la réflexion cette semaine encore: pourquoi cette manie de toujours tout mettre dans du pain? Ici, on peut avoir des sandwiches à n'importe quoi. Souvenez-vous: un hot dog, ici, se mange de préférence avec un accompagnement de choucroute, de moutarde et de relish (préparation culinaire qui ressemble à un chutney ou une compote épicée de cornichons). Cette semaine, j'ai échappé de justesse au sloppy joeun sandwich constitué de viande hachée assaisonnée d'oignons, de sauce tomate ou de ketchup servi dans un pain à hamburger. Ça a le goût d'un chili de mauvaise qualité, mais ce qui m'a surpris, ce n'est pas ça, c'est que ça se mange dans du pain. J'ai fait de la résistance: je l'ai consommé dans mon assiette, sans pain, avec fourchette et couteau. Bon, il faut dire que je ne suis pas une miss sandwich. J'aime le pain, mais pas en tant que fourreau. 

D'autres fois, nos deux mondes s'opposent avec frustrations ou incompréhensions. Notamment un aspect que Karen Le Billon évoque dans le livre. Quand un nord-américain dit "avoir faim", il faut qu'il ait quelque chose sous la dent dans les 3 minutes qui suivent. Ce qui a causé une grosse incompréhension entre Joseph et moi au début, chacun dans son habitude culturelle - que nous possédons toujours d'ailleurs. Un jour, j'ai dit en rentrant du jardin "mmm, j'ai faim!". Je vous assure que je n'ai pas eu le temps de fermer la porte et de me déchausser ou d'enlever mon manteau: mon assiette fumante était déjà déposée sur la table à mon attention, et il était pas loin de 16 heures... Quand je dis "J'ai faim", dans ma tête, ça inclut le temps de réflexion du repas et son élaboration. Ça ne veut pas dire que je vais casser la baraque si je n'ai pas quelque chose dans les 3 minutes qui viennent... Et j'ai ENORMEMENT de mal à me faire à cette habitude.

Car à l'inverse, Joseph, quand il "a faim", c'est la règle des deux M: "Manger. Maintenant". Combien de fois, en Europe, a-t-il dégainé ses snacks salés au détriment du repas qui approchait, à des heures diverses de la journée ou de la soirée. J'ai même le souvenir (très mauvais) d'une journée où Joseph m'a dit vers 15 heures qu'il avait faim, et que je lui avais dit depuis le matin que je devais aller faire des courses à Auchan où on déciderait ce qu'on mangerait le soir... L'anticipation ne fait pas partie des habitudes alimentaires des Américains. Il faut toujours avoir quelque chose de déjà prêt à consommer. D'où la multitude d'en-cas industriels qu'ils ont dans leur pantry (placard à nourriture- du français paneterie, lieu où l'on déposait le pain dans les installations militaires). Mon repas du soir n'en a été que plus gâché. Bien que bon (je n'ai connu que deux gros ratages culinaires dans ma vie: des clémentines confites qui étaient tout bonnement immangeables, un peu genre la blue soup de Bridget Jones; et dernièrement une pizza dont la pâte était dure comme du béton alors que je réussis toujours ma pâte. *soupir*), il a été pris en deux fois car Joseph n'avait plus autant d'appétit après avoir mangé ses snacks. Karen Le Billon explique très bien cet aspect du snacking, et je n'avais pas réalisé à quel point il était culturel chez les nord-américains, pas juste une question de mauvaise habitude alimentaire personnelle. 

[Tout pendant que j'écris ce billet - il est 20h50- Joseph dit "I wonder what my snack will be tonight... maybe quesadilla". NB: il est rarement au courant de ce que j'écris dans mon blog. C'est mon moment très personnel que je ne partage pas toujours avec lui. Sans quoi j'écrirais en anglais.

Ah. Et Pat m'informe que le cheesecake est prêt. Il sait que j'adore et ça lui donne une excuse pour en faire, car personne d'autre n'en mange ici. Conclusion: je vais moi aussi me prendre mon evening snack alors même que je suis en train d'écrire tout le mal que j'en pense. Oui mais c'est bon, du cheesecake. *soupir prolongé* ]

Pour revenir au livre, voici la 4ème de couverture qui résume assez bien ce qu'elle développe dans son livre et comment elle en est venue à constater ces "règles":



Ces règles nous paraissent d'une banalité affligeante, et pourtant, il est vrai, comme le dit l'auteur, que s'il n'y a pas une éducation qui incite à l'adhésion à ces règles, elles ne seront pas adoptées par les enfants, futurs adultes responsables de leur propre façon de manger. Il en va de même pour tout principe éducatif. Rien n'est inné, et tout passe par l'éducation et l'accoutumance à certains principes, quelquefois en justifiant du bien-fondé, mais quelquefois tout simplement en laissant ce bien-fondé émerger des expériences ou de la logique.

Je pourrai développer à l'infini des exemples qui me sont arrivés depuis ma présence aux Etats-Unis concernant les repas, leur préparation et la façon de les prendre, mais ce livre résume pas mal de choses, avec humour et simplicité.

Il n'est malheureusement disponible pour l'heure qu'en version anglophone. Je viens de découvrir qu'elle tient également un blog, dans la lignée de son livre: 


où elle livre ses opinions sur l'éducation des enfants d'un côté et de l'autre de l'Atlantique. 

Je ne les partage pas toutes. Loin de là. J'ai encore beaucoup de mal à adhérer aux conceptions américaines de l'enfant qui décide de tout et à qui on n'apprend pas à attendre (Louis XIV était-il américain ? :-p). Mais ses réflexions sur ses racines nord-américaines et la découverte de la culture française agissent nécessairement comme un négatif sur moi puisque je vis l'inverse et que je procède aux mêmes ajustements qu'elle. Avec la même conclusion: la French food, c'est quand même ce qu'il y a de mieux. =)

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