mardi 14 mai 2013

J'suis dans un état proche de l'Ohio.

Mais je n'ai pas le moral à zéro!

Nous sommes rendus depuis lundi à Pittsburgh, dans l'ouest de la Pennsylvanie, à 6 heures et demie de route de Manasquan, pour un séminaire de Communication Améliorée et Alternative (Augmentative and Alternative Communication, AAC en anglais). Ce terme désigne l'ensemble des méthodes de communication utilisées pour compléter ou remplacer la parole ou l'écriture pour les personnes ayant une déficience dans la production de langage, notamment les autistes ou les personnes victimes d'AVC ou de la maladie de Parkinson.

Joseph avait été contacté par Docteur Baker (mais non, pas le médecin de la Petite Maison dans La Prairie!), docteur en linguistique, fondateur et président de Semantic Compaction Systems. Dr. Bruce Baker a créé la méthode Minspeak en 1980, après avoir côtoyé, de par son métier, nombre de personnes privées de l'usage de la parole ou dans l'impossibilité de signer, mais sans déficience cognitive. Il a mis au point un outil qui traduit des occurrences linguistiques en interfaces iconiques séquentielles. Oui, c'est pas évident à comprendre pour des non linguistes. En gros, il a créé un ordinateur interactif qui permet à une personne de s'exprimer par le biais de phrases moyennant quelques clics sur des icônes lexicales ou grammaticales. Je tente de vous le résumer succinctement mais le programme est bien plus complexe et l'association images-mot/fonction permet d'utiliser une syntaxe qui correspond à du langage construit. La machine parle une fois que la personne a tapé sur toutes les touches qui forment sa séquence linguistique.

Pour rappel, Dr. Baker avait été particulièrement interpellé par la façon dont Joseph communiquait dans ses vidéos sur le handicap, et a souhaité l'embaucher en tant que consultant pour donner des conseils à ses patients pour réaliser de courtes vidéos de présentation de leur déficience et l'utilisation de leur outil. C'est donc très gentiment qu'il nous a invités pour le séminaire de mai (il y en a un par mois), car Joseph connaît mon amour de la linguistique et aussi le public avec lequel je travaille. Et je dois dire que c'est un réel plaisir d'être ici, pour plusieurs raisons.

Déjà, nous sommes les invités personnels de Dr Baker. Nous sommes logés chez lui, dans son énorme demeure bourgeoise, décorée à l'anglaise. Nous sommes logés et nourris, aux petits soins. Son assistante personnelle veille à ce que l'on ne manque de rien. Dr Baker nous a également conviés à rester avec lui après la fin du séminaire pour nous faire visiter Pittsburgh et passer du temps avec nous. Et pour cause, en plus d'être latiniste et helléniste, Baker est francophile, et c'est avec un plaisir non dissimulé qu'il me reçoit car il peut parler français, me raconter son expérience de professeur dans les années 70 en France, et me fait part de ses recherches et centres d'intérêt. C'est un Professeur d'université honoris causa, qui aime partager sa science et qui surtout ne s'avoue pas comme ayant tout vu ou tout lu. Ce soir, en regardant un DVD sur l'architecture d'une maison à Pompéi qu'il tenait à me montrer, réalisé par un autre professeur d'université américaine, il a pris de nombreuses notes en disant, tel un enfant qui vient de faire une trouvaille précieuse: "Ah! Ah! Ça je savais pas!". 

Ensuite, je suis vraiment satisfaite de me reconsacrer un peu à cette discipline qui me fascine tant: la linguistique. Les phonèmes, les morphèmes, la syntaxe, la sémantique... Tout cela me passionne (c'est tant mieux, me direz-vous, vu ma profession....), mais là en plus j'ai le privilège de vivre cette expérience avec des intervenants cliniciens, qui logent aussi à la maison et qui préparent leur speech du lendemain sur la table du salon pendant qu'on regarde Seinfeld avec Bruce. Tout à fait insolite, et le tout dans une ambiance on ne peut plus détendue. 

Les intervenants ne sont pas le seul atout. Les participants aussi. Sur la vingtaine de participants  que nous sommes, une grosse majorité sont des speech pathologists (orthophonistes), qui travaillent pour la plupart dans des centres avec des enfants porteurs de lourds handicaps, mais pas que. La petite minorité restante se répartit entre: éducateurs/professeurs spécialisés et parents d'enfants ayant des troubles de la communication. Joseph et moi sommes les deux "intrus" du groupe mais nous y sommes intégrés sans aucun problème.

C'est cela mon dernier point de satisfaction: tirer quelques conclusions sociologiques suite à l'observation d'un groupe de travail professionnel américain. Cet aveu n'a pas manqué de faire sourire Bruce qui a trouvé ma remarque tout à fait judicieuse. Et comment travaillent les Américains pendant un séminaire? Hé bien déjà, contrairement à chez nous, où c'est café d'accueil et pause-café, ici (dans cette entreprise là en tout cas), c'est buffet d'accueil, chacun se sert ce qu'il veut dans une assiette et comme boisson, et va s'installer à sa place avec ses victuailles. Des céréales, des fruits secs, des fruits frais, du café, du thé, des sodas, de l'eau, des galettes de riz, des bagels avec tout un tas de trucs à mettre dedans, des chips avec leur sauce à dipper. Contrairement à ce que je pensais, cela ne perturbe pas le séminaire d'un point de vue sonore, ni même sur le plan de la concentration. Les Américains sont ultra concentrés, ultra respectueux, ultra silencieux. Pas d'agitation, pas de gens qui râlent. On attend la pause patiemment. La journée a tout de même duré huit heures, 5 heures le matin, 3 l'après-midi, avec des pauses régulières mais de 10 minutes maximum. Les gens ne discutent pas, ne font pas autre chose pendant que l'intervenant expose. Certes, on n'en attend pas moins de professionnels, vous allez me dire, mais quiconque a déjà participé à un stage dans l'Education Nationale voit bien de quoi je veux parler.

Il se fait tard, la journée a été longue. Je vous tiens au courant de la suite de notre séjour en Pennsylvanie très prochainement.

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