mercredi 22 mai 2013

Les poupées russes - Part 2

Pendant le déjeuner, Bruce nous dit: "Christelle, Joseph, je suis vraiment très honoré de votre présence parmi nous cette semaine et souhaiterais vous inviter à participer au Conseil d'administration qui a lieu dans ...dans combien de temps, Bob?" - "20 minutes" - "Dans 20 minutes, pour vous présenter à nos membres". Oops. On est à peine en train de manger l'entrée! Bruce veut nous présenter à son staff et notamment à la présidente du conseil, Jennifer Lowe, qui est une utilisatrice de Minspeak et que nous avons vue dans le film que Bruce a diffusé au cours du séminaire deux jours auparavant.

Nous voilà donc invités d'honneur d'une réunion officielle! Nous arrivons en retard (forcément, le temps de manger!). Je salue les membres. Sept personnes, dont quatre utilisatrices du Minspeak. Jenn Lowe me salue, avec son appareil. C'est un peu impressionnant, à vrai dire, car on réalise vite à quel point nous projetons des idées fausses sur les capacités de communication des personnes polyhandicapées (j'avais initialement précisé "nous, valides", mais j'ai une sainte horreur de cette appellation toute française- ce mot n'a d'ailleurs pas vraiment d'équivalent en anglais. Je déteste aussi l'expression "couple mixte handi-valide" que je vois/entends beaucoup dans les media français car je ne nous identifie pas comme tel avec Joseph. Nous sommes un couple, point. Si notre couple est mixte c'est bien pour des raisons de nationalité et de culture différentes. Bref). Jenn Lowe, tout comme les autres personnes présentes ce jour là, dispose bien de tout son bagage intellectuel et cognitif, et tout l'intérêt du Minspeak est de libérer ces personnes du carcan physique dans lequel elles sont enfermées à cause d'une déficience musculaire généralisée.

Pour exemple, voici une vidéo où Jenn Lowe donne son avis sur un sujet (à partir de 1'15"):
 http://www.youtube.com/watch?v=P1qlbFw7aFw

Peu importe si vous ne comprenez pas l'anglais, la vidéo montre que Jenn construit des phrases complexes qui ont du sens et avec un vocabulaire spécifique.

Le Conseil d'administration avait pour but vendredi de fixer le cadre du PEC, Pittsburgh Employment Conference, une conférence organisée pour permettre à des personnes porteuses de handicap(s) de trouver un emploi.

Chris Klein, que vous voyez sur cette vidéo est l'un des utilisateurs du Minspeak les plus impressionnants et est à ce titre partenaire de Bruce pour ses séminaires: le dernier jour, les participants (=nous) communiquent avec Chris sur Skype. Nous lui posons des questions; il répond en tapant ses réponses avec son orteil. Très, très impressionnant:

http://www.youtube.com/watch?v=KVerQa2J4Tw\

Pour information, amis lecteurs, sachez que Chris est chef d'entreprise.

Après le Conseil d'administration, nous avons remercié tout le personnel de la petite entreprise pour son accueil et sa confiance, ainsi que pour toutes les modalités pratiques (tous les repas et collations étaient offerts). J'en ai aussi profité pour grappiller des documents intéressants sur l'apprentissage du langage. On ne se refait pas. ;-)

Puis nous avons vaqué à nos occupations: monter la vidéo dont je vous ai donné le lien dans mon post précédent, surfer sur le net pour rattraper les quelques jours où j'ai été pratiquement déconnectée du monde faute de temps, digérer un peu l'ensemble des informations engrangées cette semaine, aller se reposer un peu sur la terrasse ombragée de la maison avant de partir pour dahntahn à la Symphony.

Quelques heures après, le temps de prendre une douche et de s'habiller l'un et l'autre correctement, nous sommes prêts pour aller au concert. Bruce sort sa voiture du garage: une énorme Cadillac blanche, intérieur cuir, super confortable. Le trajet jusqu'au centre a duré une vingtaine de minutes, avec le concerto pour violon en ré majeur de Tchaikovsky en toile de fond sonore pour se mettre dans l'ambiance. Le concert a lieu au Heinz Hall de Pittsburgh.

Heinz, comme le ketchup? Hé bien oui, les amis, précisément! C'est dans la banlieue de Pittsburgh qu'Henry J. Heinz, un Américain d'origine allemande, a créé le célèbre condiment à la fin du 19è siècle.


Ayant fait fortune dans l'industrie du condiment, mais ayant également été le patron préféré de l'Amérique pour son souci du bien-être de ses employés, ainsi qu'un urbaniste visionnaire, la ville de Pittsburgh doit un important tribut à ce personnage local dont la renommée est mondiale. L'un de ses petits-fils a racheté un bâtiment du centre de Pittsburgh voué à la démolition dans les années 1960, et a entrepris pour 10 millions de dollars de rénovation pour en faire un lieu consacré aux performances artistiques. Les lustres, les dorures aux feuilles d'or, et le mobilier m'ont vraiment rappelé le luxe des opéras européens.

Le goût du luxe nous a déjà été donné à déguster sur le parking du Heinz Hall à notre arrivée: Bruce laisse les clés de sa Cadillac au valet du parking privé qu'il utilise quand il vient (il utilise le parking, pas le valet; la construction de ma phrase prête à confusion!). Le temps que je sorte le fauteuil de Joseph du coffre et que je l'assemble, nous voilà partis pour le concert. Des intérieurs somptueux, qui m'ont d'ailleurs remémoré le décor de la Première classe sur le Titanic. Et à juste titre: je tenais à l'évoquer car pour ceux qui ont le film bien en tête, Cal(edon) Hockley est présenté comme l'héritier de Nathan Hockley, un magnat de l'acier de Pittsburgh. James Cameron s'est sans doute inspiré d'un histoire réelle: celle de Henry Clay Frick, un richissime industriel de l'acier américain, ami avec Andrew Carnegie (émigré écossais installé en banlieue de Pittsburgh avec sa famille, surnommé "l'homme le plus riche du monde" suite à sa réussite dans l'industrie de l'acier) qui avait réservé la suite la plus chère à bord du Titanic, mais qui a finalement annulé à la dernière minute suite à une entorse de sa femme.

Revenons à notre luxe: quand vous voyez tout autour de vous des hommes en queue de pie, et certains avec des cannes avec un pommeau en or, là, vous vous dites que vous êtes dans un univers très particulier. Je ne sais pourquoi mais c'est le film Titanic qui m'est venu en tête instantanément. Comme si le temps d'une soirée, on avait fait un saut dans le temps. Des dames et demoiselles apprêtées comme pour un mariage, des coiffures fantasques, des vêtements et accessoires de luxe pour se montrer le temps d'un soir. J'allais dire... tout ça pour venir écouter un orchestre et une pianiste.

Nous étions situés à quelques mètres de la scène. Nous avons ainsi pu voir de près la pianiste Valentina Lisitsa, un concentré de fraîcheur, d'énergie et de talent. Elle sourit quand elle joue et se parle à elle-même, son regard est très expressif. Un plaisir de l'entendre jouer. Bruce nous a acheté son CD et nous a priés d'aller le faire dédicacer à l'entracte; ce que nous avons fait. J'en oublierais presque le programme. Nous avons entendu le fantastique Concerto pour piano de Grieg, op. 16, la Rapsodie Espagnole de Ravel, ainsi que Dans le Sud (Alassio) d'Elgar. Le tout dirigé par un chef d'orchestre français, Yan Pascal Tortelier, lui aussi fort énergique et très drôle. La façon dont il présente les oeuvres fait rire l'auditoire, déjà parce qu'il y met un peu de ses interprétations personnelles ("mmm, vous verrez, le cor anglais donne une touche très sexy à l'ensemble"), et aussi parce que son accent français à couper au couteau fait sourire. Accent bien factice, j'en suis sûre, pour accentuer la French touch car ses premières phrases de bienvenue étaient dans un anglais quasi limpide.


Valentina Lisitsa






Yan Pascal Tortelier
















Après le concert, Bruce nous a offert une visite de Pittsburgh by night, ô combien plaisante. Se faire balader en Cadillac, avec de la musique classique et des vues fantastiques sur la ville illuminée, ses rivières (la Monongahela et l'Allegheny), ses collines qui lui donnent un aspect San Francisco, le voilà, le vrai goût de l'Amérique (petit clin d'oeil au slogan des pubs Heinz en France).



Le tout avec des explications sur Andrew Carnegie, Heinz et bien d'autres natifs de la ville: Andy Warhol, Mary Cassatt, Andrew Palmer (le golfeur qui a donné son nom au cocktail). Mes recherches m'ont aussi révélé que Michael Keaton, Gene Kelly, Sharon Stone et Christina Aguilera étaient natifs de l'agglomération, tout comme l'inventeur de la grande roue, George Washington Gale Ferris, Jr. (pour info, une grande roue s'appelle une "Ferris wheel" en anglais) et Robert Fulton, l'inventeur du bateau à vapeur qui a expérimenté sa création en France, sur la Seine.

Quelques autres anecdotes sur la ville:

- son activité minière a attiré une grosse population russe. Ce qui explique les nombreuses églises orthodoxes dans la région de Pitssburgh. Cela est également évoqué dans le film Voyage au Bout de l'enfer, tourné dans les environs (The Deer Hunter en anglais).

- Ces films ont été tournés à Pittsburgh: Inspecteur Gadget, Unstoppable, Batman The Dark Knight Rises, Flashdance, Robocop, Le Silence des Agneaux, La Prophétie des Ombres, Diabolique (version avec Sharon Stone), Mort Subite (avec Jean-Claude Van Damme), Un jour sans fin, Piège en eaux troubles.

- Le premier Big Mac de l'histoire a été expérimenté à Pittsburgh à la fin des années 60 par McDonald's. Le succès de l'expérimentation a été ensuite confirmé dans le monde entier.

- Le premier briquet Zippo a été inventé ici, ainsi que le premier vaccin antipolio.

Nous avons quitté Pittsburgh samedi matin, sous un soleil chaud qui ne nous a pas quittés toute la semaine. Mais hélas, notre retour vers l'est a aussi été synonyme de pluie et de froid. Je ne vous fais pas de dessin, je crois savoir que vous en avez aussi pour votre grade en France depuis quelques semaines...

Notre chemin retour a permis une visite chez les Amish. Aller voir cette communauté faisait partie de mes souhaits la première fois que je suis venue rendre visite à Joseph il y a bientôt deux ans. C'est maintenant chose faite.

C'est donc autour de Lancaster, en Pennsylvanie, que nous avons fait une première pause, et plus précisément dans la ville d'Intercourse.


Nous sommes arrivés le week-end du Festival Annuel de la Rhubarbe.

Pour la petite histoire, "Intercourse" signifie en anglais "relation" et sous-entendu "sexuelle". D'autres villes de Pennsylvanie au nom insolite se trouvent dans un rayon de 100 km autour d'Intercourse, telles que: Blue Balls (couil*es bleues), Climax (orgasme), Virginville (ville vierge ou des vierges). Une visite à Intercourse ne laisse donc aucun de vos amis anglophones indifférents, puisque les jeux de mots sont à gogo. "Oh, you go through Intercourse? Don't stop till you've made it to Climax!" (oh, vous passez par [une relation sexuelle]? Ne vous arrêtez pas tant que vous n'aurez pas atteint [l'orgasme]).

Retour à nos moutons. Saviez-vous que l'origine des Amish remonte au 17è siècle en Alsace, près de Sainte-Marie-Aux-Mines?


Amish buggy.
Je vous invite à lire ces deux articles qui vous donneront une idée de ce que nous y avons vu. Les photos y sont conformes à ce que nous avons vu (les charrettes, les habits des femmes, des hommes, des enfants, et le s travaux dans les champs).

Sur les Amish:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Amish

Sur Jakob Amman, suisse installé en Alsace initiateur du mouvement au 17è siècle:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jakob_Amman

Pour le côté insolite: nous y avons vu plusieurs voitures avec une plaque allemande (factice) à l'avant des véhicules, bien qu'elles soient immatriculées en Pennsylvanie. Les habitants des pays Amish aiment rappeler leur origine germanique, bien que l'est de la Pennsylvanie soit surnommé "Dutch Country" (pays hollandais). Mais cette appellation vient en fait d'une déformation de "Deutsch", qui est devenu "Deitsch". C'est donc bien une référence à la provenance germanique et non hollandaise des populations Amish (allemands luthériens, suisses et alsaciens mennonites).


Une voiture avec plaque américaine à l'arrière, allemande à l'avant.


Pour vous résumer, j'ai eu l'impression, pour ceux qui connaissent, de me retrouver à Azannes aux Vieux Métiers, dans la Meuse. A ceci près que les Amish vivent comme cela en permanence.

Je dois malheureusement aussi faire tomber un mythe: j'ai aperçu une Amish au volant d'une voiture, et une autre en train de téléphoner derrière une fenêtre. Cela n'a pourtant rien d'anormal. Certains Amish, lors de congrès avec leurs instances, demandent des dérogations à titre personnel ou pour leur communauté. Ainsi, certains utilisent l'électricité ou des produits chimiques pour la culture des champs.



L'improbable ville de "North Versailles" sur notre chemin. Et son équivalent plus au sud, "South Versailles".


Nous avons fait notre dernière pause avant Manasquan dans le plus grand mall des Etats-Unis, à King of Prussia. "King of Prussia" (Roi de Prusse) est bien le nom de la ville. Plus de 400 magasins et enseignes de luxe, ça laisse rêveur pour qui aime le shopping. Pour moi, c'était uniquement pour le coup d'oeil et pour aller manger au Food Court.

Voilà... ainsi s'est achevé notre périple en Pennsylvanie. Très, très riche en événements, en nouveautés, en rencontres et en plaisirs. Des semaines comme j'aimerais en vivre plus souvent.

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