lundi 26 novembre 2012

Croyances.

Christy, la soeur de Joseph, qui est en poste depuis cet été à l'université d'Atlanta, en tant que professeur du département de paléontologie, en charge de cours de géologie, nous a livré récemment deux anecdotes surprenantes.

Au cours d'un TD de géologie, elle s'est rendue compte que certains de ses étudiants étaient infichus de placer la Californie et le Texas sur une carte des Etats-Unis. Nous parlons bien d'étudiants d'université qui ont choisi de devenir scientifiques, géologues, paléontologues... Evidemment, ce n'est pas tous les étudiants, mais cela interroge du fait qu'aux Etats-Unis, contrairement à la France, la sélection se fait bien avant l'entrée au College (Université). Les cours se diversifient et se répartissent par niveaux dès le collège. Les très bons élèves suivent les cours dans les A-class (advanced), les moins bons dans des classes où le niveau et l'enseignement seront moins denses. Il est à penser que ce sont les bons, voire très bons éléments qui intègrent des curriculum (curricula pour les puristes, oui, mais ça me fait bizarre de dire des curricula) scientifiques.
Pour revenir à sa remarque, et comme elle le dit si bien, elle ne demandait pas de placer le New Hampshire ou le Wisconsin; elle peut concevoir (encore que...) que ces états attirent moins l'oreille ou la vue sur une carte pour un Américain moyen. Mais le Texas... c'est le deuxième état le plus peuplé après la Californie, et qui n'a pas entendu parler de la Californie... Bref, elle s'interroge à juste titre sur ces adultes en devenir qui ne se sont seulement jamais posé la question et pour qui le savoir géographique est l'un des pré-requis: savoir où on trouve quel type de roche, de fossile, car ce n'est pas anodin.

Beaucoup plus inquiétant, de mon point de vue, et pour le coup très déconcertant pour les Français: elle officie en Georgie, état sudiste, s'il en est. Ce n'est pas cela le fait déconcertant, mais il faut d'abord poser un contexte pour vous expliquer l'anecdote. Quiconque connaît un peu l'histoire du sud des Etats-Unis comprendra que les mentalités des états du sud n'ont pas suivi aussi vite que les lois et les décrets. Je m'explique avec un exemple.

L'hiver dernier, nous étions descendus en Caroline du Nord (ancien état sudiste) pour fêter Noël avec la soeur de Joseph et son mari britannique. Sachant que Noël se fête le jour même, nous avons passé la nuit du 24 à l'hôtel et avons pris notre dîner dans un restaurant ambiance "du sud" (poulet grillé, sauce barbecue, hamburgers...). Dès notre arrivée, nous avons croisé une famille de Blacks qui sortait au même moment. Si je n'avais pas vécu cette scène, je ne l'aurais pas crue. En nous voyant arriver, ils ont tous baissé les yeux, ont reculé, nous ont tenu la porte et ont refusé de sortir tant qu'on n'était pas rentrés. Ce que j'avais d'abord analysé comme un étalage de politesse exagéré était bel et bien une persistance de ségrégation; ils avaient peur qu'on leur en veuille, ou qu'on les insulte, ou que sais-je encore... l'usage faisait que "les Blancs" sont encore "prioritaires", donc ils n'ont pas osé passer les premiers. Le père de Joseph, qui a connu en tant que fils d'immigré italien le mépris des Irlandais du New Jersey depuis les années 30 et les moqueries des Américains installés depuis des générations, a toujours été "de leur côté". Il a refusé de passer et a insisté pour qu'ils passent les premiers. L'épisode a pris presque 5 minutes entières. Après être sortis, ils nous ont remerciés et ont souhaité que Dieu nous bénisse.

Dieu, donc... revenons à nos moutons. Il persiste dans les états du sud un ancrage puissant et aveugle de la religion. Une prégnance malsaine qui s'immisce partout, dans tous les sujets: la politique, l'éducation, le business, les rapports humains. Et aussi dans les sciences. Et en l'occurrence, nombreux sont les gens dans le sud des USA qui ne jurent que par les théories créationnistes de la Bible. Ils ne veulent pas entendre parler d'évolution, de Darwin, de big bang. Et donc, notre brave Christy, professeur d'université d'un département de paléontologie, rappelons-le, a dans ses rangs des étudiants créationnistes, qui évoquent la création du monde selon la Bible dans des travaux de géologie. Cherchez l'erreur. Et au nom de la liberté d'expression, elle est tenue de prendre en considération ces propos, mais à elle de démontrer qu'ils n'ont pas vraiment leur place dans une matière qui se concentre sur la recherche de preuves et d'établissement de faits scientifiques, le tout sans déprécier ces étudiants qui agissent non par provocation, mais par conviction profonde. Je me demande tout de même l'intérêt de s'inscrire dans un cursus de géologie quand on ne croit pas à ce qu'on sait qu'on va nous enseigner. Ça fait peur, non?

Pire. Pour ceux qui causent l'anglais, voici un lien qui circule actuellement sur internet:

http://www.buzzfeed.com/andrewkaczynski/here-is-what-louisiana-schoolchildren-learn-about

Il explique ce qui est enseigné aux écoliers de Louisiane, état réputé pour ses standards d'enseignement exécrables. Dieu est au centre de l'enseignement: création du monde, il y a quelques milliers d'années, puis de l'homme à son image, etc. Pas de place pour les dinosaures, ni pour l'apparition du règne animal sous la forme microbienne et aquatique... Hunter, mon ami qui enseigne en Caroline du Sud dans une école pour sourds et aveugles, est sidéré de cet obscurantisme qui sévit encore, et pas qu'un peu, dans l'esprit des gens et dans certains programmes officiels.

La philosophie des Lumières n'a pas encore fait son chemin partout...

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