samedi 3 novembre 2012

Sandy...

Parmi tous les messages d'amis que j'ai découverts ce soir en ouvrant ma boîte mail, l'un d'entre eux contenait les mots suivants: "Je ne sais pas quoi dire... (...) Je n’arrête pas d’écrire des phrases et de les effacer car elles sont fades."

Hé bien à l'heure actuelle, maintenant que je vois sur internet ce que vous voyez à la télé depuis trois jours, je dis la même chose... 


Maintenant que je suis au chaud, avec de la lumière et un café chaud (quel plaisir), je découvre avec stupeur ce que sont devenus des lieux aussi familiers que Point Pleasant, Brick, Belmar. Ces lieux qui signifient tellement pour nous, pour les familles ici, pour les résidents qui chérissent leur côte et sa douceur de vivre. Quand je dis avec stupeur, entendez que je suis bouche bée, au sens le plus propre qui soit. La bouche grande ouverte. "Mais... on était là la semaine dernière...". Je n'en crois pas mes yeux. Abasourdie. Une deuxième fois. La première était lundi soir pendant le passage de l'ouragan. Je viens de vérifier la définition: c'est bien de cela qu'il s'agit. "Etourdi par un bruit fort ou sourd". 


Je vais tenter de vous retracer la trame des événements tels que nous les avons vécus à Manasquan, New Jersey. J'ai écrit une partie de ce texte mardi, ne sachant trop quoi faire de la soirée qui s'annonçait longue sans électricité. 


Le vent s'est levé dimanche dans l'après-midi. Il n'a pas cessé jusque mardi dans la nuit, tout en allant crescendo en force et en son.

Les rafales qui balayaient la rue dimanche et lundi en journée étaient passablement violentes, mais surtout incessantes. Ces rafales ont gagné en intensité lundi dans l'après-midi. Les prévisions avaient dit que la tempête proprement dite deviendrait sérieuse vers 17 heures. Cela n'a pas coupé. Déjà, nous avions été prévenus que des coupures de courant étaient à prévoir incessamment. Et là aussi, cela n'a pas coupé. De ce côté-là, c'était du sur-mesure. On ne peut pas dire que c'était flou. Les autorités ont prévu exactement ce qui allait se passer.

Tout avait été préparé pour l'occasion. Les bougies, les lampes de poche, les réserves de pile, les denrées. Tout, sauf l'esprit, qui bien que conscient de la situation n'en est pas moins conditionné. Combien de fois a-t-on voulu appuyer sur l'interrupteur machinalement en disant « il fait sombre ici !»? Appuyé sur le bouton de la cafetière pour s'en faire un petit ?  A-t-on été tenté d'aller sur l'ordi pour rester en contact avec les amis et la famille, en se rappelant que du coup il n'y avait pas de réseau non plus... Et puis... Jouer sur le portable pour s'amuser : oui, mais la batterie, je la recharge comment? Nous sommes prévenus depuis la semaine dernière que le courant serait coupé entre 7 et 10 jours. Bref, autant de réflexes traîtres avec lesquels il faut apprendre à composer en telle situation. Apprendre à faire des gestes essentiels, économiques, en ayant anticipé les quantités et les durées. 

Nous avons encore le gaz. Cela permet de se préparer de bons petits plats, en fonction de ce qu'il y a dans le frigo ou le freezer (qui ne fonctionnent plus depuis la coupure de courant, soit lundi 15h35). Pat s'en est donné à cœur joie dès la coupure. Allez hop, au fourneau ! Et puis ça réchauffe quand on a froid. 

Nous avons pour notre part, Joseph et moi, opté pour le façonnage de notre citrouille d'Halloween. Hé oui, c'est jour d'ouragan mais Halloween étant dans 2 jours, il était temps qu'on s'y mette! Préparation de la table et des outils, et surtout installation de l'éclairage (bougies) car bien qu'en milieu d'après-midi, le mauvais temps et l'ombre naturelle créée par les arbres alentour assombrissent les pièces comme si c'était le soir. Le thème était tout trouvé : Sandy.


Pas de télé, pas d'internet, pas de téléphone (réseau indisponible). Notre seul lien au monde extérieur est la radio. Et Pat l'utilise pour écouter un match de foot (américain of course).

Le hurlement du vent est sans doute ce qui m'a le plus marquée. Un bruit de fond angoissant qui créée un sentiment d'insécurité. Un bruit sourd, permanent, comme une salle des machines d'un bateau ou une chaudière bruyante et incessante. Dans la nuit, je me disais à plusieurs moments dans mon demi-sommeil «est-ce que cet avion va finir par s'en aller ? », mais ce n'était pas un avion qui survolait la zone, c'était le bruit du vent. La puissance fait peur. Vraiment.

Sandy... L'infâme a commencé son œuvre peu de temps après notre atelier creusage de citrouille. Les vents hurlants, violents, angoissants, qui s'engouffrent dans les trous d'air et font claquer les vitres et secouer les branches au-dessus et autour de la maison. A ce stade, j'étais préparée. Inquiète, sans plus.

Ce n'est que quelques heures plus tard, dans le noir complet, que l'adrénaline est montée en flèche.
Alors que tout le monde se reposait, je suis allée faire une petite expédition dans la cuisine pour me restaurer. Une fois ma petite assiette de fortune préparée et disposée sur la table, je vais chercher un verre de jus de fruits quand une bourrasque a soufflé plus fort que les autres et provoqué un bruit sourd, grave, fort et bref. Comme si des fenêtres avaient été « tapées », ou comme si le toit avait été soulevé et était retombé. « What the hell was that ? », demande Pat qui venait de se faire réveiller tout net de sa sieste. Il est 20h35. On est trois à être debout au milieu de la maison (Joseph dort) et à se regarder, en se demandant ce que ça peut-être. Pas de vitre brisée, pas de « courant d'air » qui indique une quelconque brèche. Pat repart dans sa chambre. Ada et moi inspectons les fenêtres. Après quelques minutes, elle a trouvé. Elle m'appelle et me dit : « Je vais monter sur le tabouret, ouvrir la petite fenêtre et éclairer l'extérieur pour que tu regardes. »

Le sapin géant gisait contre la maison. Elle est effondrée. Le sapin de Noël, leur arbre préféré de la propriété. Hé bien quand je dis que le sapin est CONTRE la maison, ça veut dire ce que ça veut dire. La cime a balayé la fenêtre du salon de ses épines. Quelques centimètres de plus et il tombait sur le toit. Je me suis retrouvée nez à nez avec lui. Incroyable.

Je peux vous dire que l'angoisse bat son plein quand on est dans une situation de danger mais surtout d'impuissance, rendue encore pire par ce bruit incessant et l'appréhension. Attendre. Attendre le pire. Sans savoir ce que c'est exactement. Sans savoir quoi faire. Sans voir clair. Et sans aucune position de repli.

La bonne surprise du soir (et de la nuit) est que nous n'avons pas eu de pluie. Seul le vent était à l'affaire. Et bien à son affaire. Pat, du haut de ses 80 ans, et qui en a vu, des tempêtes (même en mer, sur son bateau), et même des tornades, a dit plusieurs fois « c'est la pire qu'on ait jamais eue. Ces vents... Ces vents... Pourvu que ça s'arrête, c'est effrayant».

Les rafales de vent étaient monstrueuses. « Cet ouragan est un monstre. » Ce sont les seuls mots qui me venaient à l'esprit si on m'avait demandé sur l'instant comment ça allait. « C'est monstrueux ». Et encore que nous n'avions pour l'heure pas de dégât apparent. Nous avons réussi à nous endormir. Ma crainte des inondations s'est quelque peu dissipée en me rendant compte qu'il ne pleuvait pas. 

Dans le milieu de la nuit, à 3h30, la tempête s'abattait encore mais il m'a semblé que l'intensité des vents avait faibli. Impression? Conviction? Je prends mon téléphone pour envoyer un sms à mes parents. Pas de réseau. Message impossible à envoyer. Joseph me prête le sien. Il a du réseau (pas le même opérateur). A cette heure-ci, son service internet marchait encore . J'ai envoyé un court mail à mes parents pour signaler la chute d'un arbre et que tout allait bien à part ça.  

Tôt, le matin, nous sommes réveillés par Pat : « Joseph, peux-tu nous donner ton appareil photo ? Un arbre est tombé sur ta voiture, on va prendre des photos pour l'assurance ». Vous voulez connaître la meilleure ? La propriété de Joseph est celle qui possède le plus d'arbres de la rue, et vu qu'il n'a pas de garage, la décision a été prise dimanche soir de garer les trois voitures dans la rue, mais chez les voisins, afin qu'aucun arbre de notre propriété ne les abîme. La voiture de Joseph, basse, a été garée entre les deux autres, plus hautes, en file indienne. Le vent qui vient de l'est, s'il doit créer des dégâts, en créera sur les autres. Tiens, t'as qu'à croire ! Quelle était la probabilité pour que sa voiture subisse des dégâts ? Par chance, une fois l'arbre retiré, il s'est avéré qu'elle n'avait rien, et que l'arbre, par miracle, n'avait fait que se « coucher » sur elle avec quelques branches fournies en feuilles. A peine croyable. 

Il n'y a pas eu de « petit matin » pour moi. J'ai ouvert les yeux à 11h. 

Dans le silence. 

Sandy était passée. 

Juste quelques bourrasques temporaires, « normales » pour un temps d'automne. Il ne pleut toujours pas. Juste du vent.

J'ai pu me faire un café avec l'eau qui chauffe en permanence sur le gaz dans plusieurs casseroles. On gagne 4 degrés Fahrenheit grâce à cette eau qui chauffe.

Joseph part faire un tour en vélo sur le littoral avec sa mère pour voir l'étendue des dégâts. Moi je vais m'affairer à nettoyer le jardin. Ramasser les branches, les empiler sur le bord de la route, ratisser le tapis de feuilles mortes et humides. Bref, ce que tout un chacun fait dans ces conditions. 

La surprise du matin était, pour Joseph et ses parents, de se dire que le passage d'Irene, en septembre 2011, avait vraiment été pire. Dans leur rue, en tout cas. Un arbre était tombé sur un poteau électrique  les privant de courant pour 6 jours. Ils avaient fait partie des 3 rues du county (Monmouth County) qui faisaient exception à la règle. Entendez par là qu'en appelant les services concernés, ceux-ci leur avaient répondu "Mais monsieur, le courant est rétabli depuis 2 jours!", sauf que ce n'était pas le cas. Nous craignons donc le pire pour ce coup-ci puisque déjà trois jours avant l'ouragan, nous avons été averti que la coupure durerait au minimum 7 à 10 jours. On pensait qu'il s'agissait d'une anticipation exagérée, mais voyant l'ampleur des dégâts, apparemment, cela en prend le chemin.

Irene, pire que Sandy, donc? Ils ne tarderont pas à découvrir que leur quartier a fait exception. De retour de leur balade à vélo, le verdict est net: plusieurs points de la côte auraient "disparu". Le front de mer est inaccessible (périmètre de sécurité plusieurs rues avant), et renseignement pris, la pizzeria Gee Gee aurait disparu. "Washed away by the hurricane". 

Les informations arrivent au compte-goutte. Les voisins racontent de qui ils ont des nouvelles, et où. C'est confus. Pourquoi Sandy a frappé là, et pas là? C'est la stupéfaction. Mais toujours le même refrain: "Alors, vous avez aussi des ouragans comme ça en France? Exciting, huh?". 

Le réseau internet de Joseph a disparu. Impossible de savoir sur Facebook qui de ses amis a été touché, où, à quel degré. Impossible de prévenir ma famille que je vais bien, et Joseph aussi.

Quelques photos. [CLIQUEZ SUR LES PHOTOS POUR LES AGRANDIR]

Le fameux sapin tombé contre la fenêtre du salon. A l'heure où j'ai pris la photo (moi et mes satanées grasses mat), la cime et ses branches avaient déjà été élaguées par Ada. Je posterai également une vidéo bientôt qui montre un peu mieux la bête.



A la marina: l'eau est montée jusqu'au toit de cette cabane à outil sur le quai, ayant donc projeté les bateaux
qui étaient à terre pour réparation plus loin.



Plus loin , c'est ici, entre 50 et 100 m du quai, contre le lotissement. Les rez-de-chaussée ont été inondés, mais là encore, miracle: aucun bateau n'a éventré les habitations. Ils se sont "garés" sur la route ou à l'entrée des immeubles. Vidéo à venir, aussi.



Deux rues derrière chez nous:



La rue qui longe l'arrière de la propriété de Joseph:



Deux rues au-dessus de chez nous. Il a eu moins de chance que nous. L'arrière n'existe plus.



La rue juste en face de la photo ci-dessus: il faut le voir pour y croire. Cet arbre, dont les racines sont plus hautes que ce 4x4, est tombé le long de la maison, sans l'abîmer. Nous sommes un quartier de miraculés.



Le front de mer à Sea Girt, plage la plus proche de Manasquan. Voici une partie du boardwalk dont je vous parle tant. La promenade a été soulevée et déplacée. Cette rue a été désensablée mardi (environ 3 m de sable de hauteur) et la photo a été prise mercredi. C'est hallucinant. Les bancs en béton ont changé d'orientation, de position, de 5 à 10 m plus loin, sur la route.



A Belmar, pas loin de la marina où le père de Joseph a perdu son bateau (c'est la mauvaise nouvelle pour nous...), les rues sont encore inondées. Je n'ai pas pu m'approcher davantage, mais au fond, l'eau est encore à 1m50 environ de hauteur.




Les feux de signalisation ne fonctionnant plus, la police est postée aux carrefours dangereux. Le principe est simple. La circulation n'est possible que dans un sens; interdiction de couper la route à ceux qui sont sur route prioritaire. Si vous venez de l'axe secondaire, vous faites demi-tour plus loin pour vous retrouver sur la route principale dans le sens qui vous arrange.



Au-dessus de la voiture noire, le poteau électrique penché est sans doute celui qui nous prive de courant dans le quartier. La photo a été prise jeudi matin et montre que le nouveau poteau a déjà été installé mais pas raccordé. Les plots empêchent une traversée du carrefour à la perpendiculaire.




Mes photos ne sont pas extraordinaires du fait que nous n'avons accès qu'aux zones sécurisées, mais comme je le disais au début de ce message, ce que vous avez vu aux infos ou sur internet (et moi aussi depuis hier soir): ponts, routes, maisons détruits, inondations, ..., est effrayant et dépasse vraiment l'imagination.

Je prévois une suite à ce post pour vous parler de l'état d'urgence instauré dans le New Jersey qui rythme notre quotidien depuis lundi 9h: secours, couvre-feu, vols, stations-services, commerces.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire